Alexandra Tchuileu

Maga : Vivre de riz et de crédits…

Au lendemain des inondations de 2012 à Maga dans la région de l’Extrême-Nord Cameroun, des milliers de personnes se sont déplacées. D’autres ont vu s’accroître leurs besoins déjà pesants avant ce coup de fouet de la nature. Quatre ans plus tard, ils se sont organisés en groupements d’initiatives communes (Gic). Les plus outillés s’en sont sortis. Les autres comptent sur la chance pour au moins rembourser les crédits à la base de leurs initiatives.

 

A 80 km de Maroua, ils n’ont pas grand-chose à envier au chef-lieu du département du Diamaré (Extrême-Nord, Cameroun). Ils essaient de s’adapter et de recréer un oasis au milieu de leurs difficultés. Eux, ce sont les habitants de Maga, hommes et femmes, qui ont décidé de mettre la main à la patte pour changer leur devenir. Tant bien que mal, ils initient depuis quelques années des projets pour y parvenir. Avec des échecs retentissants, et des succès à enseigner.

El Hadj Hissène Youssouf fait partie de la première catégorie. Lui, c’est le président de l’association de producteurs de riz de l’Extrême-Nord, notamment dans le département du Mayo-Danay. En réalité, il est à la tête d’un rassemblement de 280 groupements d’initiative commune. A ce jour, il regrette le choix de semences effectué par un projet présent dans cette localité, qui espérait créer une source de revenus. «Face aux changements climatiques, on a besoin de semences adaptées. Nous avons sollicité celles qui sont précoces et à court terme (3 à 4 mois pour mûrir) afin qu’elles ne rentrent pas dans la période de froid et puissent produire. Lorsque ces délais débordent, le riz rentre dans le sol et la récolte devient impossible», explique-t-il.

En effet, c’est aux mois de mai et juin qu’il est indiqué de semer du riz dans cette zone. Ce n’est qu’en milieu du mois de juillet que cette association a reçu des semences. «L’entreprise chargée de nous remettre ces semences ne l’a pas fait à temps et ne se soucie pas pour choisir des semences adaptées», ajoute l’agriculteur. Il s’agit de la Société d’expansion et de modernisation de la riziculture de Yagoua (Semry), mise en place en 1979. C’est avec son appui que les populations de Maga, productrices de riz, peuvent pratiquer à leur niveau cette culture.

El Hadj Hissène Youssouf
Le représentant des riziculteurs locaux croise les doigts pour avoir quelques graines de riz. Photo: Alexandra Tchuileu


Conséquence du dérèglement, il y a peu de chance que ces riziculteurs restituent dans les délais les crédits octroyés grâce aux projets locaux. Ils paient 51 000 FCFA (78 euros) pour avoir des semences à exploiter sur un demi-hectare ; les premiers crédits et les fonds personnels ne servant qu’à louer des parcelles de terrain à cultiver, avec la promesse d’offrir six sacs de riz au propriétaire après la récolte. Autant d’engagements qui font planer le doute sur ces Gic, initialement optimistes.

En attendant la hausse des prix…

Youssouf est loin d’être un illettré. Il sait exactement de quoi il se plaint et les objectifs qu’il veut atteindre. Nanti de son baccalauréat A4 Allemand obtenu au Tchad voisin après deux tentatives ratées d’un probatoire, il a choisi de cultiver sa prospérité dans les plantations de Maga depuis 2008. Aujourd’hui, il doit trouver une solution, avec son association, pour restituer le crédit octroyé dans le cadre d’un programme financé par le gouvernement camerounais et appuyé par le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD).

Bouba Hamiri ne peut en dire autant du sorgho qui lui a souri cette année. Il est heureux de faire savoir que le Gic Abakaye de Guirvidig (Maga), dont il est le délégué, conjugue le chiffre d’affaires au pluriel depuis 2013. En attendant que les prix remontent sur le marché, il a sécurisé sa récolte de 161 sacs de sorgho dans deux magasins.

Bouba Hamiri à Maga
Bouba Hamiri, fier de porter le Gic producteur de sorgho qui réalise des bénéfices. Photo: Alexandra Tchuileu

«A cette période, le sac de sorgho coûte 10 000 FCFA (15 euros) sur le marché. Nous attendons août pour écouler nos réserves à raison de 25 000 FCFA (38 euros) le sac. Ainsi, nous aurons plus de bénéfices avec nos clients qui viennent principalement de Yagoua et du Tchad voisins», espère-t-il. Malin de réfléchir ainsi. C’est l’astuce que Bouba et son Gic ont imaginée pour fructifier le crédit obtenu en 2013. Plus de 3,5 millions de FCFA (5400 euros) pour changer leurs niveaux de vie. Jusqu’ici, ils ont déjà récolté 4 millions de FCFA de bénéfices. «Nous avons prélevé deux millions de FCFA pour envoyer quatre de nos enfants à l’université. Ils viennent de réussir au baccalauréat et nous souhaitons qu’ils aillent le plus loin possible. Ils seront inscrits dans les universités de Maroua et de Ngaoundéré», ajoute-t-il.

C’est le rêve des 59 membres du Gic Abakaye, tous habitants de Guirvidig à Maga, qui se réalise peu à peu. Une lueur d’espoir et d’optimisme pour ceux qui n’avaient plus la flamme de la réussite dans cette localité. Problème, ils ont le défaut de leurs qualités. A force de briller par leurs résultats, ils ont ébloui les autres initiatives qui ne prospèrent pas et ne parviennent donc pas à rembourser les crédits dans les délais comme eux. Conséquence, ils doivent désormais compter sur eux-mêmes, sans plus attendre de crédit pour continuer de faire tourner la machine de leur succès.


Touloum : Dans les yeux de sa chèvre…

Touloum, à plus de 150 km de Maroua, Extrême-Nord du Cameroun. C’est ici que des hommes et des femmes réapprennent à donner du sens à leur quotidien, malgré la crise sécuritaire, les intempéries et le déficit de moyens et d’information pour assurer leur épanouissement complet. Portrait de deux femmes, privées de responsabilités, devenues actrices majeures du changement dans cette bourgade camerounaise.

Comment ne pas se laisser saisir par ce cheptel en puissance ? Mieux, par celle qui l’encadre ? Elle, c’est Mme Djonre. Elle n’élève pas la voix. Elle écoute quand son époux lui parle. Elle s’exécute quand il lui demande (poliment, présence d’étrangers oblige !) de dresser le troupeau de bêtes, comme à son habitude. Et comme à son habitude, elle nettoie l’enclos qu’ils ont aménagé dans un coin de la cour de leur maison, pour laisser respirer ces bêtes. Ici, c’est l’investissement de plus d’une famille. C’est un groupement d’initiatives communes (Gic) nommé Beswe qui a donné corps à une idée. Voir grandir une centaine de petits ruminants qui deviendront demain, le rêve est permis, un grand cheptel.
Ici à Touloum, une localité de plus de 50 000 habitants avec 53% des femmes et 47% des hommes, jeunes, femmes et hommes, ils ont choisi de faire bouger les choses, sans plus forcément rien attendre de qui que ce soit. C’est ainsi qu’ils ont développé plusieurs Gic, en fonction des centres d’intérêts et des compétentes des uns et des autres (élevage de petits ruminants, de volaille, riziculture). Chez Beswe, c’est le vœu de voir cent cabris devenir mille, voire plus dans quelques années. Le Gic en a acheté 100 au mois de janvier 2016. Un investissement estimé à 1,935 million de FCFA (environ 3000 euros) sur la base d’un crédit. A rembourser au terme d’une année, lorsque les cabris seront devenus moutons et chèvres, vendables et rentables. Mais, cet objectif n’avait pas pris en compte les aléas climatiques et financiers.
Mr Djonre, le secrétaire du Gic, n’a pas sa langue dans sa poche quand il faut faire avancer son groupement. Ça coûte, le montage d’un projet. 20 000 FCFA pour la saisie du dossier avant l’octroi du crédit par le gouvernement, c’est trop. Trop pour cet homme dont le groupe ne dispose pas encore des moyens intellectuels, ni d’expertise technique pour être autonome. Il y a aussi le climat qui joue les imprévisibles. Les pluies se veulent intempestives et ne laissent pas de temps aux Mayo (fleuves qui sillonnent les différents départements de la région) de rester logés dans leurs lits. Conséquence, inondations qui peuvent tout emporter sur leur passage, vies humaines et animales.
Autre aléa, le marché qui a chuté à cause de l’insécurité naissante. Evalué entre 22 000 (33 euros) et 30 000 FCFA (46 euros) à la même période il y a un an, il faudrait être généreux pour sacrifier ses 20 000 FCFA (30 euros) à la quête de cette viande sur le marché local. Sept mois plus tard, tous ces facteurs ne permettent pas au Gic Beswe d’atteindre ses objectifs et de rembourser le crédit octroyé en début d’année.

Productrice d'oignons à Doumrou
Annette Kaltum, la productrice d’oignons devenue femme d’affaires. Alexandra Tchuileu pour le PNUD-Cameroun

Occupe-toi de nos oignons !

En effet, ce financement provient du gouvernement camerounais, appuyé dans son action par des bailleurs de fonds internationaux, notamment le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD). Cela a permis à plus d’un de se recréer un îlot dans cette zone jadis (et à ce jour encore) privée de grattes ciel et de grands commerces, mais qui se positionnent désormais comme localité autonome pour répondre à ses propres besoins, voire ceux des autres.
A une bonne trentaine de kilomètres de Touloum, il y a Djabire Doumrou et ses fameuses Tignéré (maisons d’oignons). Là, on est quasiment à la frontière du Cameroun avec le Tchad. La traversée d’un pont permet de passer d’un Etat à l’autre. Dans ce village, le Gic Lougga Baleri construit sa notoriété au rythme de ses productions. Focalisé sur la production d’oignons, il se positionne en leader dans le secteur et en un délai réduit. Ici encore, les petites mains, ce sont les dames, bien trop silencieuses et tout aussi efficaces. Annette Kaltum en est l’exemple et ses pairs sont heureux de la présenter comme tel.
S’offrir un moulin à arachides dans la localité, ce n’est pas rien. Annette Kaltum appartient désormais à la caste des privilégiés. Pour débourser ses 240 000 FCFA (370 euros), elle a dû croire en ce projet il y a un an. Elle réussit quand même un record de 1000 FCFA (1,5 euro) de bénéfice net par jour, et tutoie les 6000 F (9 euros) lorsque les pannes d’électricité s’invitent dans les villages voisins. Avec deux millions de FCFA (3050 euros) investis, le Gic en a récolté huit un an plus tard à travers ses oignons. De quoi faire des envieux. Et des adhérents à la pelle. Le seul moulin à arachides du coin va alimenter les villages environnants et proposer l’alternative aux pannes d’électricité handicapantes pour la cuisine.
Ce progrès n’occulte pas les besoins des compères et consœurs d’Annette. Oumarou Amadou, le secrétaire du Gic, en dresse clairement le bilan : un forage pour bénéficier d’un peu d’eau potable ; un autre moulin à écraser du mil, indispensable mais trop coûteux ; une radio communautaire pour avoir des informations pratiques et utiles au quotidien. Désormais, le rendement des oignons est meilleur, sa conservation aussi, ce qui a forcément accru la clientèle. Mme Djonre, au milieu de ses chèvres, et Mme Kaltum qui s’occupe de nos oignons, se positionnent à leurs manières, comme des leaders du changement dans leurs localités.


C’était donc cela le chagrin!

Quelque part à Yaoundé, un vendredi soir, 23 h 30. C’est un des quartiers qui fleurissent sans attendre le plan d’aménagement urbain. Parce qu’encore coincé dans le tiroir d’un bureau administratif ou jugé inutile pour des gens de la classe moyenne (au regard de ceux qui ne parviennent plus à trouver les deux bouts à joindre chaque mois). A tort. Pourtant là, ces gens ont compris qu’il fallait vivre sans compter sur personne d’autre qu’eux-mêmes et se battent, bon an mal an, à se hisser un toit sur la tête. C’est donc un coin où il fait encore beau-vivre et où l’odeur de l’essence n’est pas fréquente. Il se trouve sur le flan d’une montagne. C’est donc là que j’avais choisi de vivre un bout de bonheur. Enfin, c’est ce que je pensais.
Tout était tranquille. Tout était léger. Ce soir-là, j’avais deux envies. La faim d’abord, pour avoir consacré ma journée à tout, sauf m’alimenter. Ensuite, l’envie de faire l’inconcevable, de toucher à ce qui pourrait me décevoir après. Comment «Mbom» allait répondre à ma quête ? Devais-je lui poser la question ? Non, c’était trop osé. Il me fallait donc plus de courage pour foncer sans autorisation. Il était couché là. Moi, regardant un film, en même temps que j’assouvissais une envie. Un plat d’omelettes accompagné de frites de plantain entre les mains, à quasiment 23 h 30 (les nutritionnistes et leur délai de 20 h pour le dîner auraient bien du souci à se faire pour moi) …
J’en étais donc là, à hésiter à franchir le pas. « Qui ne risque rien n’a rien », dit un proverbe camerounais (un peu limite pour moi, je n’y trouve pas d’originalité). J’ai donc foncé, fort de cette phrase vide de sens que je m’étais laissée répéter pendant une dizaine de minutes. Téléphone posé sur le tapis. Menu, messagerie, boîte de réception… L’indicible était là, l’invisible brillait de mille feux. « Chéri, je suis désolée pour la performance d’hier. Cela faisait trop longtemps pour moi et je me remets seulement sur le rail grâce à toi. Je te promets d’être meilleure la prochaine fois! » Déluge. Tout s’écroule. Avant que tout ne s’effondre, sortie de ‘Boîte de réception’, direction ‘Messages envoyés’.
« Pas grave. Je t’ai dit que je serai là pour toi. On va se rattraper la prochaine fois. » Ce n’était pas le seul message. Il y en avait un autre pour une autre destinataire. Cette fois, Mbom suppliait le début d’une idylle avec une téméraire dans son refus.

Sanctuaire de Nseng Nlong près de Yaoundé
Au sanctuaire de Nseng Nlong (près de Yaoundé), le rempart pour ne pas sombrer
Photo: A. Tchuileu

« Je constate que plus on te fait la cour, plus tu es indisponible. A l’époque où je ne m’étais pas encore déclaré, tu étais disponible. Maintenant que j’ai avoué ma flamme, tu me fais marcher. Excellence, je t’ai dit que je sais ce que je ressens pour toi et ce que je veux. C’est toi. Alors, si tu le permets, si Dieu le permet, on vivra quelque chose d’unique. Alors, quand est-ce qu’on aura notre tête à tête pour que tu me dises enfin, Excellence trop occupée et overbookée, où tu en es et ce que tu veux ? »
Mes yeux avaient vu. Mes doigts avaient touché ce qui ne m’appartenait pas. Mon cœur a commencé à s’emballer. Mon cerveau a joué son rôle. Se souvenir. Un soir, des mèches de couleur sur les draps (alors qu’en principe, j’ai les cheveux courts et plutôt naturels). Le parfum inhabituel dans la salle de bain. Le frigidaire chargé de corn flakes, de saucisson, de beurre de table, de jus naturels importés, barres de chocolat blanc à n’en plus finir, etc, en plein milieu de semaine. Je n’avais portant pas fait ces courses. Tout était clair. Celui-là, c’était un paresseux notoire. Comment avait-t-il eu le temps de faire des achats en plein milieu de semaine ? A cette découverte, tout s’expliquait.
C’était donc cela. Il y en avait une autre. Ou plusieurs autres. Qui avaient goûté à la tendresse que je me croyais réservée, à la complicité qu’on ne cultive qu’avec un vrai ami, à cet espace qui était mon refuge. Je n’avais pas douté pour rien. Je n’étais pas la seule dans ces lieux. Je n’étais plus la seule. Le déni, la colère, la déception, la négociation, l’acceptation avec moi-même. En quelques secondes, j’ai passé toutes les phases de l’imprévu, de l’inattendu.
Cette nuit-là, le flan de la montagne a cessé d’être mon îlot. En quelques minutes, il m’avait pris mes larmes, ma naïveté et surtout mon cœur. Cette rencontre venait d’inscrire une trace indélébile dans mon âme. C’était donc cela le chagrin d’amour ! Ce que j’ai fait ensuite, je le raconterai très bientôt…